14 mai 1990. Départ définitif, Nouvelle-Orléans. États-Unis.
Ça fait 30 ans cette année. Le 14 mai 1990, on montait dans un train. Je partais seule avec mon fils de deux ans et demi, en train parce que j’avais peur que son père irait à l’aéroport pour me trouver. J’ai laissé ma voiture là-bas parce que j’avais peur d’avoir des problèmes mécaniques en route. Avec un jeune enfant, c’était beaucoup trop dangereux de prendre la route seule.

Appartement (du haut) de la Nouvelle-Orléans d’où on a quitté à 6h du matin le 14 mai 1990.
J’ai pleuré tout le long du voyage. En quittant, parce que je lui avais pris son enfant. En arrivant, parce qu’on était enfin en sécurité de l’autre côté de la frontière.
Nous sommes partis un 14 mai, date non anodine, puisque c’est l’anniversaire de ma mère. J’ai toujours pensé qu’il n’y avait pas de hasard. Surtout que tout s’est déroulé de manière parfaite comme dans un film. J’ai quitté une situation truffée de dangers, avec mon fils, sur les ailes d’un ange.
Je ne serai pas une bonne mère. J’aurai tout fait, pourtant, pour lui inculquer des valeurs humaines. J’aurai tout fait pour maintenir tous les fils culturels : les siens, que j’avais cassé en l’arrachant de ses racines noires; les miens, si fragiles et si forts, de la culture française.
Mais je l’ai entrainé dans un voyage, une trajectoire trop passionnée, semée d’embuches et d’embâcles, de déceptions amères, tant pour moi que pour lui.
Je croyais à mes illusions. Je leur ai tout donné, à mes illusions, à mes idéaux, à des gens envers qui je me sentais obligée. Ils étaient beaux, mes idéaux, mais ils m’ont tous trahi.
16 mai 1990. Arrivée à Hull.
Quelque part entre la fin aout et le début de septembre, j’entrais dans une salle de classe dans une école polyvalente à Gatineau. Je m’étais inscrite à un cours de dessin publicitaire. J’étais prête à recommencer ma vie. J’habitais le 22 rue du Roussillon à Hull. J’avais trouvé une garderie, la Garderie populaire Le Baluchon. Tout était en place.

1er appartement à Hull, semi-meublé, quartier de Val-Tétreau. Le 22 rue du Roussillon.
J’étais en retard la première journée parce que le trajet entre Val-Tétreau et Gatineau était long. Je devais m’arrêter entre les deux pour laisser mon fils à la garderie. Il était toujours le premier arrivé à 7h15. Et je devais courir pour prendre un autre bus pour me rendre à la polyvalente Nicolas-Gatineau à 8h, car il n’y en passait qu’un à l’heure. J’avais donc 30 minutes d’avance ou 30 minutes de retard.
Ce matin-là, je l’avais manqué. Lorsque je suis arrivée, la salle était pleine et le cours avait commencé. J’étais très gênée et j’ai cherché où m’asseoir rapidement. Il n’y avait qu’une chaise de libre. À côté d’un beau jeune homme, galant, l’œil vif, une assurance affichée. Sa sensibilité et son talent me séduiront. C’était Pierre.
Il avait 37 ans. Il avait cessé de travailler comme arpenteur parce qu’il avait commencé à avoir mal aux genoux. C’était le début d’un autre pan de vie, non sans un autre lot de bonheurs et de déceptions. Le bagage que je trainais était trop lourd, trop présent.
J’avais l’ambition des États-Unis, l’engagement émotif et la passion de la France. Ni l’un ni l’autre n’étant valorisé au Québec, je me suis butée contre un mur après l’autre, alourdie encore plus par le syndrome de la femme battue et les montagnes russes de mes flux hormonaux qui m’amenaient à me défendre et à me sentir coupable en même temps. Les hommes de ma vie s’étaient retrouvés, eux, sur un terrain commun. J’étais à la fois la colle et l’obstacle.